Le patrimoine des femmes

Les accusations de « comportements inappropriés » de Trump contre les femmes sont bien connues, et loin d’être derrière lui. Une partie des femmes américaines s’étaient mobilisées contre lui pendant la campagne. Mais à l’heure où la loi fiscale des Républicains est en train d’être votée, et sans doute acceptée dans ses grandes lignes, il apparaît que le président poursuit des pratiques de maltraitance des femmes dans un autre domaine : celui de l’économie. Les recherches de Mariko Chang sur les inégalités de patrimoine entre hommes et femmes valent la peine d’être regardées de près, en ce qu’elles montrent la façon dont non seulement l’organisation du travail mais aussi la politique fiscale et la faiblesse des prestations sociales contribuent à ce que les femmes soient moins riches que les hommes.

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Les inégalités de revenu sont importantes aux USA : pour un dollar gagné par un homme, une femme ne gagne que 77,8 cents. Mais l’écart est encore plus spectaculaire pour le patrimoine. Il est très difficile de distinguer les richesses individuelles au sein des couples car les statistiques sont essentiellement établies pour les foyer et ce n’est que par approximation que l’on peut déduire les patrimoines réciproques de l’homme et de la femme dans les couples, même si Chang consacre un chapitre à montrer les arrangements, et la façon dont les hommes ont tendance à prendre en charge les grandes décisions. C’est pour cette raison que l’essentiel des chiffres fournis dans l’ouvrage concernent les personnes non mariées. Et l’écart entre homme et femme est faramineux : les femmes célibataires possèdent 36 % de la richesse des hommes célibataires (pour le dire autrement, quand les hommes ont 1 dollar, les femmes ont 36 cents). Ces écarts sont vrais à tout âge, en proportion ils diminuent avec l’âge, mais augmentent en valeur absolue. Et plus le revenu est élevé, plus la différence est forte en valeur absolue : lorsque les personnes gagnent moins de 20 000 dollars par an, la différence est de 240 dollars, lorsqu’elles gagnent plus de 80 000, elle est de 210 000 dollars.

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Comment l’expliquer ? D’abord par les différences de revenu : même si les femmes remontent la pente de ce côté-là, en particulier les femmes de moins de 25 ans, qui gagnent 95 % du salaire des hommes, l’écart reste, ce qui signifie que les hommes ont un surplus qu’ils peuvent faire fructifier. Toutefois, cette explication trouve sa limite dans le fait qu’à revenu égal, le patrimoine masculin se constitue plus vite que celui des femmes. Un facteur essentiel, qui revient de nombreuses fois dans le livre est le fait que les femmes sont mères, et que parmi ces femmes célibataires, nombreuses sont celles qui ont des enfants à charge, ce qui réduit d’autant leurs marges pour constituer un patrimoine. Mais là où les données étudiées par Chang sont les plus originales est qu’elle regarde la structure des revenus, pour expliquer pourquoi les hommes prennent ce qu’elle appelle le « wealth elevator », quand les femmes prennent l’escalier.

Pour la sociologie de l’argent, une telle approche est très importante, car si à la suite de Zelizer de nombreux travaux ont montré l’intrication de l’argent et de la famille, il s’agit ici de réfléchir à la dimension politique et sociale de la question. Comment dans le marché du travail, dans les politiques fiscales, dans la redistribution, l’organisation et les conceptions de la famille, produisent-elles des différences économiques ?

Trois domaines sont essentiels. D’abord celui des « fringe benefits », terme que les Américains utilisent beaucoup et qui est difficilement traduisible en Français et qui désigne les surplus au salaire versés à la discrétion des employeurs (charge sociale recouvre mal le terme, car les fringe benefits n’ont rien d’obligatoire et ne sont pas versés à l’Etat). Cela comprend les assurances santé et les versements sur les fonds de pension mais aussi par exemple la possibilité de prendre des jours de congé pour enfants malade. Tous les secteurs d’emploi ne sont pas aussi généreux, en particulier l’industrie (plus masculine), avec ses syndicats, offre de meilleures conditions. EnRésultats de recherche d'images pour « fringe benefits » outre, les employés à temps partiel sont souvent exclus de ces conventions. Les femmes étant plus souvent, en particulier pour les enfants, dans cette situation, elles se trouvent défavorisées de ce côté là, ce qui a des effets sur leur richesse à court et à long terme. Le deuxième domaine, qui pousse dans la même direction que le premier, est celui des déductions fiscales. L’Etat américain offre de généreuses déductions à deux catégories de dépenses : les intérêts d’emprunt immobilier et les versements sur les plans de retraite. Les hommes en sont davantage bénéficiaires. Pour les emprunts immobiliers, cela s’explique de deux façons : d’abord les hommes ont des maisons plus grandes, des emprunts plus chers, donc plus d’intérêts à déduire. Ensuite les hommes ont de meilleurs revenus, donc bénéficient plus des déductions. Christopher Howard, dans The Hidden Welfare State a calculé qu’en 1995, l’Etat américain a dépensé 69,4 milliards en subventions pour les pensions Résultats de recherche d'images pour « the hidden welfare state »plans et 53,5 pour les intérêts d’emprunts immobiliers, contre 26,6 milliards pour les food stamps et 17,3 pour les familles avec enfants. En moyenne les hommes bénéficient davantage des deux premiers et les femmes des deux seconds. Enfin, le troisième domaine où se creuse l’écart est celui des prestations sociales. Elles existent aux USA contrairement à ce que l’on peut croire parfois, il y a notamment une retraite de la sécurité sociale, qui nécessite d’avoir 35 années pleines, et des assurances chômages. Là encore, davantage d’emplois à temps partiel et les arrêts pour les maternités désavantagent les femmes.

L’auteur regarde aussi du côté des dettes : l’endettement américain a explosé ces dernières décennies, mais il y a dettes et dettes. Les dettes d’emprunt immobilier construisent un patrimoine, à situation économique égale toutefois, les femmes ont des crédits plus chers, elles ont 32% de chances de plus que les hommes d’avoir un crédit immobilier subprime, et les chiffres s’envolent si l’on observe les crédits reçus par les femmes noires ou hispaniques. Quant aux dettes de consommation, et particulièrement celles prisent sur les cartes de crédit, elles sont très chères et appauvrissent le foyer plutôt qu’elles ne constituent un investissement. Les femmes en souscrivent davantage. Et là c’est moins de richesse qu’il est question que de pauvreté, car, c’est une évidence, si les femmes sont moins riches, elles sont plus souvent pauvres, ce que Chang appelle “wealth poor”, c’est-à-dire sans aucun patrimoine ou avec des dettes supérieures aux possessions.

Enfin, le livre décrit la « motherhood wealth tax », et montre que les femmes perdent de l’argent quand elles deviennent mères, qu’elles quittent le marché du travail ou y restent. Si elles y restent, l’écart avec les salaires des hommes augmente de 4 % au premier enfant, de 12 % pour chacun des suivants, alors que les hommes voient au contraire un « bonus » de 9 % en moyenne pour la naissance d’un enfant. Cela s’expliquerait par les stéréotypes selon lesquelles une mère ne peut se consacrer pleinement à son travail quant un père au contraire, devant faire vivre sa famille, sera un employé parfait. En cas de divorce, les femmes, qui pour certaines avaient arrêté de travailler, se rendent compte de leur situation économiquement défavorable. Et pour l’ensemble, l’argent accumulé sur les fonds de pension, qui sera la source des revenus à la retraite sont moins élevés que ceux des hommes.

Capture d_écran 2017-12-05 à 05.40.22La France connaît des phénomènes similaires, simplement les écarts sont moins forts (l’INED estime que l’écart de patrimoine entre hommes et femmes est de 15 %, voire le tableau ci-dessus). Toutefois, comme aux USA, la conception de la famille où l’homme gagne le pain quand la femme reste à la maison, infuse les politiques économiques et sociales. Ou plutôt, comme aux USA, des politiques qui ne sont pas pensées comme liées au genre (des politiques qui défiscalisent tel investissement ou établissent des montants de transferts sociaux), le sont en réalité du fait d’une plus grande pauvreté des femmes, qui ont de plus faibles revenus du travail et plus de charges d’enfants. Les retraites des femmes sont plus faibles, pour les mêmes raisons qu’aux USA : moins d’années de cotisations, des interruptions pour les enfants, et un niveau général de cotisation plus faibles. Le seul domaine qui est moins spectaculairement défavorable est celui de l’assurance santé, mais il faudrait voir en détail ce qu’il en est. Des comparaisons terme à terme seraient intéressantes pour comprendre quels mécanismes font que l’écart est plus faible en France, on peut notamment penser à l’inégalité extrême que constitue l’accès ou non aux fringe benefits. Ne pas en avoir aux USA signifie n’avoir aucun filet de sécurité en cas de problème (ne serait-ce que le droit de s’absenter pour un enfant malade), et cela a un effet considérable sur la possibilité ou non de pouvoir stabiliser sa vie et épargner.

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Pour revenir à la réforme fiscale en cours, l’intérêt de la lire au prisme du genre est qu’en privilégiant ceux qui sont déjà dans la course, elle privilégie les hommes. Et privilégier les hommes, souligne Mariko Chang, c’est défavoriser les foyers féminins, où sont plus souvent élevés les enfants, c’est donc accentuer la transmission de la pauvreté.

Discriminations II

Je voudrais revenir sur la question des discriminations, pour mettre en regard l’expérience faite à Villeurbanne dont j’ai parlée il y a quelques semaines, avec les nombreuses enquêtes américaines qui démontrent les difficultés d’accès au crédit pour les minorités et l’ampleur de leurs conséquences économiques et sociales.

Le passage par les Etats-Unis est ici particulièrement intéressant, non seulement car il est autorisé d’y catégoriser la « race » des personnes, mais aussi car les données financières et bancaires y sont largement publiques. De grandes enquêtes nationales ajoutent à la richesse des informations disponibles. Or, sur la question des discriminations, l’approche quantitative est irremplaçable. Je ne dirais pas cela sur l’ensemble de la sociologie, au contraire, je suis plutôt critique des travers positivistes que produit une trop grande déférence pour la quantification, mais la discrimination se prouve difficilement autrement que par l’accumulation de cas individuels qui vont tous dans le même sens.

Bref, que nous apprend la sociologie américaine sur les discriminations dans l’accès au crédit ? Il faut d’abord noter que ce sujet est ancien, on peut dire qu’il remonte au début du 20e siècle, et loin d’être uniquement universitaire, il a été depuis longtemps objet de mobilisations politiques. On peut y voir l’écho du rôle central que la consommation joue depuis le début du 20e siècle dans le sentiment d’appartenance à la nation américaine, ce que Lizbeth Cohen résume par l’idée que les USA sont une « république de consommateurs ». Dès lors, les obstacles pour accéder à la consommation sont lus comme des obstacles pour accéder à la citoyenneté, et sont ainsi rapidement des enjeux politiques. Consommation ici ne doit pas s’entendre comme dépenses de plaisir et superflues. Le crédit c’est d’abord le logement et son équipement, la voiture (donc les déplacements dans un pays très grand aux transports en commun peu développés) mais c’est aussi, les frais médicaux (dans les années 1930 il s’agit déjà de l’une des causes majeures des banqueroutes) et parfois la nourriture.Screen Shot 2017-11-21 at 4.49.02 PM

Ainsi, la lutte pour accéder au crédit, particulièrement pour les militants des droits civiques, est associée à une lutte pour accéder au logement. Dans les années 1950 et 1960, les associations de défense des Africains-Américains rendent publiques le « red lining », c’est-à-dire le fait que les agents immobiliers entourent de rouge certaines zones qu’ils rendent inaccessibles aux clients non-blancs (ci-dessus une carte de Los Angeles en 1939, établie par les prêteurs, classant les quartiers par degré de désirabilité, le rouge étant le plus haut, et le vert le plus bas). En outre, ces clients ont d’extrêmes difficultés à obtenir des crédits immobiliers, de sorte que des intermédiaires en profitent : ils achètent des logements au prix du marché, puis les revendent aux familles noires avec des plans de financement qu’ils sont les seuls à leur fournir, moyennant évidemment un coût supérieur.

Le livre majeur de David Caplovitz dont j’ai déjà parlé, The Poor Pay More, montre en 1963 que les habitants des ghettos d’Harlem sont écrasés de crédits à la consommation pour des objets de mauvaise qualité, souvent vendus à domicile ou dans des magasins de quartiers, par des marchands qui exploitent les difficultés sociales, de compréhension et de participation au marché de ces clients. Ces derniers ne fréquentent pas les magasins des autres quartiers car ils sont intimidés socialement et ne maîtrisent pas assez l’anglais.Capture d_écran 2017-11-22 à 00.42.12

L’histoire de la lutte pour l’accès au crédit mêle les femmes et les membres des minorités. Dans cette période en effet les associations féministes militent pour que les femmes mariées ou non puissent accéder autant que les hommes au crédit. Les forces conjointes de ces deux mouvements conduisent à plusieurs lois : le Fair Housing Act en 1968 qui interdit le red lining et l’Equal Credit Opportunity Act en 1974, qui interdit de prendre en compte dans la décision de crédit la race, la couleur, la religion, l’origine nationale, le sexe, le statut marital et l’âge (une partie de ces critères sont autorisés en France). En 1977, le Community Reinvestment Act s’ajoute, il implique que les banques prêtent partout aux mêmes conditions, et les incite à investir localement.
Cet arsenal juridique n’a toutefois pas réglé les problèmes, et les enquêtes s’enchaînent pour montrer que les emprunteurs noirs et hispaniques, à situation économique équivalente ont plus de difficultés pour emprunter et empruntent plus chers. Lors de la crise des subprimes, plusieurs études ont montré que les minorités avaient reçu bien plus de ces crédits aux prix exorbitants, y compris lorsqu’ils avaient des situations économiques qui n’auraient pas dû les classer en “subprimes”. Ainsi, pour les prêts à taux variables sur 30 ans, les Noirs et les Hispaniques en 2005 avaient des taux d’intérêt en moyenne de 12 et 29 points plus élevés que les Blancs. De même, une enquête récente montre que les Noirs et Hispaniques paient leur logement en moyenne 2% plus cher que les Blancs, ce qui s’explique à deux niveaux : le prix de vente comme le crédit accordé. Une autre montre que les Mortgage Loan Originators, intermédiaires entre les emprunteurs et les banques, répondent davantage aux mails des candidats blancs que des candidats noirs.

Plutôt que de prolonger cette liste d’enquêtes, qui vont toutes dans le même sens, je voudrais réfléchir aux différentes méthodes utilisées. Je me base notamment sur un article de 2008 de Devah Pager et Hana Shepherd qui fait le point sur le sujet. Les auteures expliquent d’abord que discrimination n’est pas racisme, et n’implique pas la volonté de nuire, c’est une mesure beaucoup plus « neutre », c’est-à-dire qu’il s’agit d’établir qu’il y a un traitement différentiel lié à la race ou l’ethnicité présumée. Evidemment, ce traitement nuit, mais en étudiant les discriminations de cette façon, le but est de dépassionner le débat, et de faire apparaître des éléments structurels et non individuels, chez ceux par qui les discriminations arrivent : les employeurs, les bailleurs, ou les banquiers.Capture d_écran 2017-11-22 à 00.44.56

Une première façon de faire est de demander aux personnes concernées si elles ont subi des discriminations. Si les résultats sont intéressants (montrent que les Noirs, hispaniques et asiatiques, notamment de classes moyennes, affirment fréquemment en être victimes), mais difficiles à utiliser, tant les biais de perception peuvent être importants, à la hausse ou à la baisse. Une autre méthode est de passer par les « potential discriminators ». Il s’agit alors de mener des interviews pour faire apparaître les représentations de ces personnes, montrant par exemple en 1991 que les employeurs considèrent que les jeunes hommes noirs des centres-villes sont paresseux et peu dignes de confiance. Pour autant, là aussi, les représentations et les attitudes ne se recoupent pas forcément.

Les mesures quantitatives semblent mieux à même de faire apparaître l’existence ou non d’une différence de traitement fondée sur une unique caractéristique : le sexe, l’âge ou le plus souvent la catégorisation raciale. C’est loin d’être évident en réalité. « Isoler » une variable signifie que l’on a, en langage statistique, « contrôlé » toutes les autres. En outre, corrélation ne signifie pas causalité. Certains ont monté des expériences en laboratoire : on fait venir des gens et on les fait réagir à des CV où la seule différence est la photo du candidat. Mais ces expériences ont leurs limites. Une autre solution est que les Américains appellent des « audit studies » et que nous appelons en bon français des « testings » : entraîner des acteurs pour faire apparaître des différences de traitement dans des domaines aussi différents que l’emploi, le logement, la vente de voiture, l’assurance, le crédit immobilier, la demande d’avance de frais médicaux ou même la prise en charge par les taxis. Mais là encore, ces méthodes souffrent de limites : les biais potentiellement introduits par les acteurs, la difficulté de généralisation et leur coût qui limite souvent leur ampleur.

Les chercheurs américains s’intéressent aussi aux tribunaux : ils observent l’évolution des plaintes pour discriminations et la façon dont les tribunaux les jugent. En effet, l’une des grandes différences avec la France est la judiciarisation de la discrimination, qui va avec une expertise des avocats comme des associations pour faire apparaître le sujet. D’ailleurs, les données peuvent même être constituées par le ministère public, comme lors de la récente condamnation de JP Morgan, qui en janvier dernier a accepté de verser 55 millions de dollars aux emprunteurs Africains-Américains et Hispaniques à qui la banque – à travers des intermédiaires – avait fait souscrire entre 2006 et 2009 des crédits plus chers en moyenne de 1000 $ par rapport aux autres clients. Wells Fargo en 2012 avait quant à elle payé 175 millions. La présidence Obama prenait ces questions au sérieux et avait notamment désigné des « federal prosecutors » pour calculer et prouver ces différents.
Concernant le crédit, les études universitaires peuvent aussi se fonder sur les données disponibles, notamment les grandes enquêtes publiques, dont les analyses montrent éternellement des différences d’accès et de prix.

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Enfin, si montrer les discriminations exige de considérer des personnes qui sont dans des situations identiques (donc en général les Noirs et Hispaniques de classe moyenne que l’on compare aux Blancs de classe moyenne), qu’en est-il pour les plus pauvres ? C’est une question un peu différente, l’exploitation des pauvres parmi lesquels les membres des minorités sont surreprésentés, passe notamment par des crédits de très mauvaise qualité du fait de scores de crédit dégradés, comme les auto title loans, crédits gagés sur les voitures. Les emprunteurs donnent l’original de leur carte grise au prêteur, qui peut également installer une puce dans la voiture, qui en cas de défaut de paiement arrête le moteur, y compris si la voiture est en marche. Cela s’ajoute à des salaires très faibles, des frais médicaux ruineux du fait de l’absence d’assurance et des coûts de logement souvent disproportionnés.

Dès lors, réfléchir aux discriminations c’est aussi réfléchir au sort fait à ceux qui sont structurellement laissés à l’écart, et se demander jusqu’à quel point les écarts de dureté de la vie sont justifiables par les écarts de richesse.

 

Réformes fiscales

Alors que le parlement français discute du projet de loi de finance, il est intéressant de tracer un parallèle avec la réforme fiscale que les Républicains américains sont en train de mettre en œuvre. Les deux présidents nouvellement élus ont finalement des objectifs très similaires : faire revenir l’argent des entreprises parti off-shore (Apple, le champion, a 246 milliards au chaud), et éviter que plus ne s’en aille. Les réponses, avec des outils qui ne sont pas les mêmes se ressemblent, il s’agit dans les deux cas de baisser les impôts sur le territoire, afin de les mettre au niveau des pays les plus attractifs. Aux Etats-Unis, l’enjeu du vote va être de réduire le taux d’imposition des entreprises de 35 à 20% (en France le projet est de passer de 33% aujourd’hui à 28% en 2020).Résultats de recherche d'images pour « money off shore »

Evidemment, dans les deux pays, le débat est le même : cela aura-t-il un véritable effet ? Le risque est grand de vider les caisses de l’Etat « pour rien », car l’argent des entreprises est si mobile, et leurs capacités à bénéficier des niches fiscales telles, que les plus grosses arriveront toujours à payer moins d’impôts. Et finalement les Etats entérinent cet état de fait, en baissant les impôts du capital, tout en augmentant ceux du travail. Le phénomène décrit depuis les années 1990 ne fait que se renforcer : les immobiles paient pour les mobiles, et les immobiles détestent de plus en plus les mobiles (qui peuvent prendre des noms variables selon les périodes : capitalistes, élites, bobos, mondialistes, etc). Dans le cas de Trump il y a un bien sûr un paradoxe à voir celui qui a été élu par les « immobiles », qui voient leur travail être délocalisé, favoriser les mobiles, mais ce n’est pas faute de les avoir prévenus. Côté Macron, il y a plus de cohérence.

Mais le parallèle ne se limite pas aux entreprises : dans les deux cas les changements fiscaux touchent aussi les ménages, et les dirigeants affirment que ces lois ont pour objectif de favoriser les classes moyennes. La catégorie est suffisamment malléable pour justifier aussi bien les déductions fiscales envers des familles touchant de hauts salaires, que les hausses qui toucheront certaines catégories (aux Etats-Unis c’est le cas pour les familles nombreuses, dont les déductions vont être baissées). Certains groupes sont ainsi décrits comme suffisamment riches pour contribuer – les retraités en France par exemple – et d’autres comme trop pauvres pour faire partie des classes moyennes, et constamment décrites comme trop soutenues par l’aide publique.

Résultats de recherche d'images pour « gilded age buildings chicago »L’éditorial d’hier du NY Times dit les choses clairement : la réforme fiscale proposée par les Républicains est faite pour le « new gilded age », en référence aux années 1920, période de l’enrichissement gigantesque des industriels et d’inégalités extrêmes. Les courbes des économistes nous montrent que nous nous en rapprochons chaque jour un peu plus. C’est une réforme pour les 1%, et les 99% restant sont « dispensable ». C’est sans doute là qu’est le problème politique majeur, en Europe comme en Amérique du Nord : la répétition par les dirigeants politiques de la nécessité de faire des lois pour satisfaire ceux qui détiennent le capital, sans qui nous dit-on rien n’est possible, ni croissance, ni emplois, ni investissements publics ni même savoir (car l’avenir est dans la recherche – en entreprise), donne le sentiment que le reste de la population ne compte pas, doit se soumettre et remercier.

Un autre élément qui rappelle le début du 20e siècle, est que l’on parle de déductions fiscales pour les entreprises, mais pas seulement : il s’agit de plus en plus d’individus. En France, l’ISF en est le symbole. En décidant de ne plus taxer les patrimoines investis en bourse ou dans des entreprises, on voit bien Résultats de recherche d'images pour « vanderbilt family »que l’idée que la finance « n’a pas de visage », ou que le capital des entreprises n’est contrôlé par personne, seulement par les marchés, ne tient pas vraiment. Il y a bien des individus dont la richesse est telle qu’elle influence le fonctionnement de l’économie, et les gouvernants veulent prendre soin de ces familles-là. Là aussi, on a des formes de retour aux premiers âges du capitalisme. Aux Etats-Unis, la taxation de l’héritage, qui a pu être très élevée, car l’héritage est perçu comme orthogonal aux valeurs du rêve américain où la course à la réussite serait rejouée à chaque génération, a été considérablement amoindrie ces dernières années. Ainsi, pour commencer à payer le premier dollar d’impôt, il faut que l’héritage dépasse 5,5 millions de dollars. La réforme actuelle vise à faire passer ce seuil à 11 millions de dollars. Le niveau de taxation a lui aussi diminué.

Bien sûr, les Etats-Unis et la France ont des histoires fiscales très différentes. La sociologie Monica Prasad a montré notamment que les Américains ont depuis les années 1920 mis en place une lourde taxation de la richesse, très poRésultats de recherche d'images pour « monica prasad the land of too much »pulaire, car touchant peu de monde, et cohérente avec la vision méritocratique du pays. Cette taxation de la richesse était portée par les Etats ruraux, qui en revanche luttaient contre la mise en place d’impôts sur les biens, expliquant que les taux de TVA soient toujours très faibles aux Etats-Unis. En revanche, en France, la taxation de la richesse a été vue comme une ingérence autocratique de l’Etat central, et les impôts se sont davantage centrés sur la taxation de la consommation (notamment car la France, comme l’Europe était à cette époque importatrice de matières premières agricoles, alors que les USA connaissaient la surproduction). Monica Prasad explique ainsi que lorsque dans les années 1970 les impôts ont été décriés, et que les taux d’impôts sur le revenu ont chuté (voir le graphique de Piketty), l’Etat n’a pu se tourner vers d’autres ressources, il s’est appauvri, a augmenté sa dette et baissé la protection qu’il apportait aux citoyens. Alors que l’Etat français a lui maintenu des taux de TVA élevés, impôt moins visible et bien moins discuté en France.

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Ces histoires nationales continueront-elles à dessiner des paysages fiscaux différents, ou la rapidité de circulation des capitaux qui ne fait que croître condamnera-t-elle tous les Etats à avoir des politiques identiques, au nom des risques d’évasion fiscales ? Ces politiques convergent vers un abaissement des impôts, et forcément une baisse de pouvoir des Etats, puisque ce qu’ils ne peuvent plus payer devra être délégué.

L’argent des riches

J’avais fait un post il y a quelques temps sur les gestionnaires de fortune, et je m’aperçois que la question de l’argent des riches est de plus en plus prégnante aux Etats-Unis. Un ouvrage vient de sortir sur la question : Uneasy Street. Son auteur, Rachel Sherman, assistant professeur à la NY School, avait publié un essai dans le NY times il y a quelques semaines qui présentait les grands résultats de son enquête auprès de « Wealthy New Yorkers », qu’elle a interrogés sur leurs façons de gérer leur argent, et leur culpabilité.

Les ouvrages sur la très grande richesse prennent souvent le risque d’être fascinés par leur objet, et il est d’ailleurs frappant que les chercheurs qui s’y aventurent évoquent presque toujours d’importantes difficultés d’accès à ce monde fermé, tout en montrant que la difficulté est plutôt dans le fait de se faire recommander. Les interviews sont ensuite souvent relativement faciles, avec des personnes qui ont un rapport réflexif à leurs pratiques et parlent aisément. Cela n’est pas toujours aussi simple avec des interviewés en difficultés financières, qui s’effondrent quand on leur demande de raconter leurs déboires, ou espèrent que l’enquêteur pourra leur prodiguer des conseils.

Quoi qu’il en soit, ce qui me frappe dans la façon dont ce livre se présente, c’est l’insistance sur l’aspect psychologique de la richesse : l’ouvrage s’ouvre sur le cas de conscience d’Olivia, qui vit dans un penthouse à New York mais l’assume mal vis-à-vis de ses amis et a fait changer sur l’ascenseur le bouton « PH » pour mettre un numéro d’appartement. Ainsi, l’auteur s’intéresse aux « dilemmes » que posent le lien entre l’argent et l’identité pour ces très riches. Ma première réaction face à ce projet, je dois le confesser, est d’en être irritée. N’y a-t-il d’autres sujets plus importants auxquels consacrer du temps ? S’intéresser à l’argent des riches non en montrant les inégalités qu’il produit et la façon dont il échappe au pot commun, mais en soulignant les difficultés psychologiques de ses détenteurs me paraissait une façon peu utile de participer au débat politique. Cela ne conduit-il pas à s’extraire des questions structurelles, qui sont pourtant la justification première de ceux qui étudient les mondes des « dominants », pour parler comme la sociologie classique ?

L’ouvrage s’intéresse à la vision symbolique de la richesse, à la façon dont celle-ci peut être perçue comme liée à la facilité et la paresse, mais aussi admirée comme lRésultats de recherche d'images pour « piketty capital in the 21st century »e résultat d’un talent particulier ou d’une vie professionnelle réussie. L’auteure considère que le mouvement « Occupy Wall Street », puis le livre de Piketty – que beaucoup de ses interviewés ont sans doute dans leur bibliothèque – ont conduit à une vision négative des plus riches, et se demande comment ses interlocuteurs affrontent cette critique. A New York, la plupart – mais pas tous – de ses interviewés sont démocrates, ce qui augmente leurs contradictions personnelles. Ils vivent aussi dans l’une des villes les plus inégalitaires du pays, où les prix des logements sont stratosphériques, envoient leurs enfants dans des écoles maternelles dont les tarifs sont équivalents à ceux des universités d’élite, et suppriment les étiquettes sur ce qu’ils achètent pour que leur femme de ménage ne voit pas que leurs baguettes coûtent 6 dollars.

La description des niveaux de vie et pratiques de consommation de ces familles est à mes yeux l’apport central de cet ouvrage car elle montre la nécessité de revenus extrêmement élevés pour mener une vie que les interviewés qualifient de “normale”, au sens de proche du modèle de la classe moyenne : un logement agréable, une bonne école et des loisirs.

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Petit ajout personnel : j’ai été le week-end dernier à New York, je n’y avais pas été depuis très longtemps, et ne connaissais pas cette nouvelle tour, 432 Park avenue, qui dépasse toutes les autres, et est constituée d’un appartement par étage. Le moins cher vaut 17 millions de dollars, sans compter les 15 000 dollars mensuels pour les taxes et l’entretien. En fait, les projets immobiliers de ce type se multiplient dans la ville, et matérialisent les inégalités avec le plus grand raffinement architectural.

Rachel Sherman considère que l’évolution réside dans ces conflits moraux que ressentent les plus riches, qui il y a encore quelques décennies étaient beaucoup Résultats de recherche d'images pour « dallas tv series »plus à l’aise avec leurs privilèges. A partir de ces interviews, elle dessine la façon dont ces personnes se décrivent comme des « gens biens ».

La sociologie des émotions connaît un succès croissant aux Etats-Unis, comme moyen de compléter ou de combattre le structuralisme, dans un monde sociologique souvent très mathématisé, qui fait des modèles statistiques avec les expériences individuelles. Toutefois, cette sociologie montre aussi une « hiérarchie » sociale des émotions : pour le dire vite, les émotions des plus favorisées sont socialement plus valorisées et prises en compte que celles des autres. Et on ne peut s’empêcher de se demander si cet ouvrage ne participe pas à cette inégalités du droit de cité des émotions : le titre du livre « uneasy street », est un jeu de mot construit à partir de l’expression « easy street », qui désigne ceux qui ont une vie facile. Et l’auteur nous dit que ce n’est pas le cas, car ces personnes sont anxieuses.

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Cet ouvrage pourrait aussi être vu comme une approche de sociologie pragmatique : cette sociologie (à laquelle je me sens appartenir, malgré ses débats internes) entend restituer les appuis moraux des acteurs, en considérant qu’il faut se garder de leur prêter des intentions, et que le travail sociologique consiste précisément à comprendre pourquoi les personnes font ce qu’elles font. Mais cette sociologie ne se construit pas sans critique : restituer les raisons morales des acteurs doit servir à comprendre comment le monde social et économique est organisé et sur quoi faire porter la critique. Ainsi, ce que nous apprend cet ouvrage est que la critique frontale de la richesse par l’évocation des inégalités crée de l’anxiété mais ne produit pas de transformations structurelles. Il serait donc intéressant de comprendre comment cette anxiété se traduit en actions politiques et économiques. Le livre de Brooke Harrington sur les gestionnaires de fortune montrait l’une des possibilités : la mise à l’abri de la richesse. Quelles sont les autres ?

En conclusion, ce livre démontre que ce ne sont pas les riches qui luttent contre les inégalités, et que même si ce sont des gens biens, c’est d’autres groupes que viendront les changements.

A quel prix ?

Quelqu’un m’a dit il y a peu : ce pays va mourir des « fees ». Il s’agit de tous ces frais ajoutés aux prix annoncés. Par exemple, j’ai acheté des places de concert, en plus du prix, il fallait ajouter 15 dollars par billet pour « traitement » du dossier. J’ai aussi acheté des billets d’avion, et je m’y suis reprise au moins quatre fois pour réussir à comprendre le prix, à comparer les offres, et à pouvoir prendre un sac en cabine et un autre en soute sans que le prix ne soit multiplié par deux. Je vous passe les packs exceptionnels proposés sur le site et la façon dont les informations étaient savamment obscurcies, mais chacun connaît le stress de ces réservations impossible à annuler et dont on craint qu’elles ne soient plus disponibles si l’on ne les prend pas tout de suite. Là-dessus les Etats-Unis ne sont pas originaux, même si le processus y est encore plus poussé qu’ailleurs. Ce qui est plus étonnant pour un français, c’est que la TVA n’est pas incluse dans les prix affichés, de sorte que le prix que l’on paye à la caisse est toujours supérieur, selon un pourcentage qui diffère selon l’Etat dans lequel on se trouve, mais aussi selon la ville, certaines ajoutant une taxe locale. En outre, il y a les pourboires. Bref, il y a une incertitude permanente sur le prix des choses.

Résultats de recherche d'images pour « the poor pay more caplovitz »

La question des prix est importante dans l’analyse des inégalités : d’abord les prix ne sont pas les mêmes pour tous. Là-dessus, il y a l’ouvrage pionnier de David Caplovitz de 1963, dont le titre résume la thèse : The Poor Pay More. Analysant la consommation des habitants des housing projects (HLM) de New York, Noirs et Latinos, Caplovitz montre qu’ils ne sont pas seulement exploités dans le champ de la production (selon l’approche marxiste classique), ils sont aussi des consommateurs exploités, car ils n’achètent que dans leur quartier, le reste de la ville leur étant hostile, et les commerçants du quartier leur faisant crédit. Les biens y sont de moins bonne qualité et plus chers. Internet pourrait avoir changé cRésultats de recherche d'images pour « panier garni luxe cadeau »ela, toutefois, les entreprises ont des classes de consommateurs et ne leur proposent pas à tous les mêmes services. Les plus fortunés ont des services gratuits. Georg Simmel l’avait déjà dit en 1900 : la richesse rend la vie plus confortable pas seulement parce que l’on peut acquérir plus de biens, mais aussi parce que les riches sont traités avec déférence et reçoivent bien plus de cadeaux que les autres.

Outre les différences de prix, l’autre zone d’inégalités est celle de la stabilité des prix. Si ceux-ci sont instables pour tous (que l’on pense au « lean management » des prix des billets d’avion ou de train, voir là-dessus un article sur l’histoire des prix de SNCF), leur instabilité est plus forte encore pour les instables. Le prix pour l’économie monétariste est censé comporter l’ensemble des informations sur les biens mis en marché : c’est autour de lui que les acteurs se coordonnent, et l’économie considère que le prix reflète la valeur. La sociologie a depuis longtemps montré que l’équation prix = valeur ne fonctionne pas, tant la valeur est précisément une notion complexe et variable selon les individus et les sociétés. En revanche, le prix donne une valeur sur laquelle s’accorder. C’est ce qui fait la force de l’argent : contrairement à toutes les autres descriptions de la valeur, la valeur monétaire est compréhensible par tous, y compris par ceux avec qui l’on ne partage rien, ni langue, ni religion, ni aucune « valeurs ». La modernité rationnelle est en grande partie fondée sur cette idée que l’on peut construire une valeur partagée.

Si les prix sont mouvants, c’est ainsi un pilier très important de la vie collective qui est ébranlé. Comme le rappellent ici Luc Boltanski et Arnaud Esquerre « les prix constituent dans les sociétés complexes une composante essentielle de la réalité sociale ». La sociologie s’intéresse de plus en plus à la question des prix. Le livre d’Etienne Nouguez, La santé à tous prix, qui sortira à l’automne aux presses de Sciences Po, fera le point sur la sociologie des prix, à partir de l’analyse du marché du médicament générique. Il y montre que le fonctionnement du marché du médicament est loin de se réduire à la question des prix, puisque le médicament générique, théoriquement aux mêmes propriétés et moins cher, n’a pas loin s’en faut rayé de la carte les médicaments des marques.

Résultats de recherche d'images pour « fees »

Le problème des fees n’est ainsi pas seulement que les choses coûtent plus cher, c’est que l’on n’est jamais sûr de leur prix, et l’on n’a pas la tranquillité d’esprit promise par l’économie monétaire, c’est-à-dire le fait que l’argent libère de la dette. En théorie, après avoir payé on ne doit plus rien. Or, l’instabilité des prix remet cela en question, et crée le sentiment que les choses se font en deux temps : on paie d’abord le bien ou le service puis l’on paie la possibilité de se libérer de sa dette. Cela est vrai pour accéder à son argent à travers un distributeur bancaire, ou un virement international, mais l’un des lieux où ils atteignent des sommets ce sont les cartes de crédit, qui affichent un taux d’intérêt, mais se payent par des fees extrêmement chers dès qu’il y a un dépassement de délai ou une anomalie, et qui sont la véritable source de gain des banques.

 

High-Net-Worth-Individuals

J’ai appris la semaine dernière l’acronyme HNWI pour High-Net-Worth-Individuals. Je suis très en retard, il existe depuis plus de 10 ans. Il a été inventé dans le monde de la finance. J’adore ces créations de la langue anglaise – souvent venus du marketing, ça casse un peu le romantisme d’une langue qui spontanément se réinventerait chaque jour, mais ça reste un jeu linguiste très amusant.

Une traduction française synthétique d’HNWI serait « riches », mais là il faudrait définir la richesse (quels seuils ? Revenus ou patrimoine ? Niveau de vie ou mesure monétaire ? etc), je n’ouvre pas cette boîte de Pandore. Donc, tentons une traduction plus littérale : individus disposant d’un haut patrimoine. La limite dans le monde de la finance pour être un HNWI est d’avoir 1 million de dollars d’actifs à investir – donc, hors actifs immobiliers. Mais nous savons que le monde des hauts patrimoines est à la fois concentré (peu de personnes en détiennent une part gigantesque) et dispersé, c’est-à-dire que les plus fortunés des détenteurs de haut patrimoine possèdent plus de 1000 fois ce qu’ont les moins fortunés des plus riches (j’espère que c’est clair. Je mets un graphique pour illustrer). Pour rendre la catégorie HNWI plus opérante, les financiers ont donc inventé une sous(ou plutôt sur)-catégorie : celle des UHNWI, les Ultra-High-Net-Worth-Individuals, qui ont au minimum 30 millions d’euros à placer. Ils sont un peu moins de 180 000 sur Terre, quand les millionnaires sont environ 18 millions.

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Si la finance a inventé ce terme, c’est que ces personnes très riches sont l’objet d’une attention particulière : celle des banques privées. Elles ont toujours existé, mais elles se développent à toute allure depuis une vingtaine d’années. Les banques traditionnelles ont désormais toute une branche privée, les étudiants qui se forment aux métiers de la banque se ruent sur les formations « gestion de patrimoine », mais surtout, ces milliards font l’objet d’une ingénierie financière sans précédent. La sociologue Brooke Harrington a récemment publié Capital Without Borders qui est une enquête sur les « wealth managers », les gestionnaires de fortune, qu’elle est allée Résultats de recherche d'images pour « capital without borders »interroger dans 18 pays, dont nombre de paradis fiscaux, et qui lui ont raconté comment ils mettent l’argent des ultra-riches à l’abri. Elle explique que les plus riches cherchent à se protéger de trois risques : la fiscalité, leurs créanciers et la dilapidation par des membres de la famille (enfant dépensier ou divorce coûteux). Il faut y ajouter les risques de spoliation et de corruption dans les pays où comme le note avec ironie l’auteure, les richesses y ont précisément été construites en ne respectant aucune règle, mais il faut ensuite les en protéger.

Pour y parvenir, les financiers, globalement, rendent l’argent intraçable à l’aide de sociétés écrans, mais surtout de trusts, vieux système britannique inventé du temps où les chevaliers partaient aux croisades et destiné déjà à protéger leurs fortunes de tous les malheurs potentiels. Le principe du trust est que le bénéficiaire n’est plus propriétaire de ses avoirs et n’a aucun droit sur les choix d’investissements qui y sont fait. En revanche, il est bénéficiaire des dividendes. C’est un moyen idéal pour ne pas payer d’impôts mais aussi pour se déclarer en faillite et ne pas rembourser ses créanciers. Et il est possible de créer des trusts pour chaque membre de la famille.

Le livre d’Harrington est très intéressant sur son aspect politique : elle explique que les wealth managers vont jusqu’à participer à l’écriture des lois des pays dans lesquels ils officient. Leur rôle est de connaître les systèmes fiscaux et financiers de tous les pays du monde, afin de placer l’argent de leurs clients aux meilleurs endroits selon leurs besoins (acheter une maison à Londres, un yacht, garantir l’avenir des enfants conçus hors mariage, etc). Ils conseillent donc les législateurs sur la meilleure façRésultats de recherche d'images pour « bankers goldman sachs »on « d’attirer les capitaux », c’est-à-dire le plus souvent, sur la meilleure façon de diminuer voire d’abolir toute fiscalité. Cela se fait au détriment des habitants de ces pays – les seuls à continuer à payer des impôts – y compris dans les paradis fiscaux, où les Etats ne prélèvent quasiment plus aucune taxe sur les capitaux qui y circulent, et comme ailleurs diminuent les prestations sociales et les investissements publics. Comme le dit l’un des gestionnaires interrogés : ce sont les immobiles qui paient pour la mobilité des capitaux. Pour Harrington, lutter contre ces fuites de capitaux ne se fera qu’en s’intéressant à ces intermédiaires que sont les gestionnaires de fortune, pour les pousser à utiliser leurs compétences non à disperser les fortunes pour les rendre inatteignables, mais à les réintègrer dans l’économie et les circuits d’argent nationaux, y compris ceux de la fiscalité.

Résultats de recherche d'images pour « occupy wall street »Ce monde de la très grande richesse est en train de devenir un sujet d’intérêt pour la sociologie, qui longtemps a plutôt été vue comme une discipline s’intéressant aux plus pauvres. C’est une des preuves du sentiment généralisé que l’enrichissement sans fin d’une infime partie de la population mondiale, qui ne s’est pas arrêté en 2008, bien au contraire, provoque l’appauvrissement de tous les autres, et est au cœur de l’organisation des sociétés contemporaines et sans doute futures.

Apprendre l’argent dans le journal

La plupart des journaux aux Etats-Unis possèdent une rubrique centrée sur l’argent: « Your Money » dans le NY Times, « The color of Money » dans l’édition du week-end du Washington Post (reprise dans une centaine de journaux à travers le pays) ou « Money » dans Time Magazine, etc. Plutôt que des courriers du cœur, certains journaux ont des courriers des problèmes d’argent. Ces pages très bien fournies sont un lieu idéal pour observer cette fameuse « financiarisation de la vie quotidienne », dont je parlais dans un post précédent.

Capture d_écran 2017-08-03 à 17.11.56Si l’on considère que les sujets traités par les journaux reflètent les centres d’intérêt des habitants d’un pays – c’est un débat, Pierre Bourdieu considérait que le processus inverse est en général à l’œuvre, mais pour ce blog, nous allons faire comme si – ces pages sont extrêmement précieuses. Les sujets sont multiples mais les plus fréquents sont les dettes et les moyens de les réduire, le financement des études, les retraites et les choix d’investissement (ce dernier sujet recoupant les trois autres en réalité). D’autres articles présentent la situation sociale des plus âgés, des portraits de retraités obligés pour survivre d’occuper des emplois payés au salaire minimum à 80 ans passés. Mais il y est aussi parfois question de la vie financière des très riches – ce qui me fait penser aux présentations admiratives de voitures de luxe dans les magazines automobiles.

On perçoit par ces lectures l’inquiétude que représente le coût des études pour les familles états-uniennes. Non seulement des articles sont régulièrement consacrés au prix des universités : celle-ci a augmenté ses tarifs, celle-là propose une nouvelle bourse, tel Etat a décidé d’aider ses ressortissants s’ils étudient dans l’Université publique locale, etc ; mais le plus souvent ce qui est au cœur du sujet est la façon fullsizeoutput_438dont les étudiants et leurs familles y font face (une photo de la bibliothèque de Middlebury, puisque je parle d’universités). Des reportages sont consacrés aux calculs des familles : choisir telle université plus prestigieuse mais qui coûte davantage ou celle-ci plus économique mais peut-être moins bonne pour l’avenir ? Emprunter ou économiser ? Comment calculer les bourses auxquelles l’étudiant peut prétendre (sujet éminemment complexe, chaque université et chaque Etat a des modalités de calcul différentes) ? Comment les étudiants vivent-ils le fait de faire peser sur leurs familles de telles contraintes financières ? Un autre sujet est celui de la pauvreté des étudiants, et enfin la question des dettes contractées pendant les études revient très régulièrement.

Certains journaux ouvrent leurs colonnes à des universitaires, économistes, politistes, juristes (rarement sociologues, rassurez-vous), qui donnent leur avis sur les meilleurs système de retraite, protection sociale, financement des études, crédit, protection des consommateurs, etc, et les réformes que le gouvernement devraient amorcer. Un article récent du NY Times était ainsi consacré à se demander si arranger ses comptes, aidé par un avocat, pour devenir en toute légalité éligible à Medicaid – l’assurance santé publique réservée aux personnes âgées les moins riches – était éthiquement condamnable. Cet article était signé de Ron Lieber, qui est l’éditorialiste de la rubrique « Your Money » du prestigieux journal et qui s’est fait connaître par ses ouvrages d’éducation à l’argent. C’est le cas de la plupart de ceux qui écrivent dans ce type de pages, ou qui y sont cités : ces spécialistes de la gestion des budgets familiaux et de l’éducation à l’argent se sont en général faits connaître par des livres à succès. C’est le monde du coaching financier qui apparaît ici. C’est une industrie florissante – quelques livres ci-dessous trouvés au hasard parmi une myriade -, ce qui est évidemment à relier à l’inquiétude de la classe moyenne pour réussir à maintenir son niveau de vie et à le transmettre. Et ces pages que les journaux y consacrent mettent en scène cette inquiétude tout en présentant les « experts » capables d’y répondre.

 

The Struggling Middle Class

Neal Gabler, journaliste et essayiste américain, a écrit un article l’an dernier dans The Atlantic, qui a fait couler pas mal d’encre. Il cite un sondage de la Federal Reserve qui dit que 47 % des Américains ne sont pas en mesure de trouver 400 dollars au pied levé sans avoir à les emprunter ou à vendre quelque chose, puis confesse en faire partie et raconte par le menu son « impotence financière » et ses difficultés depuis des années malgré ses revenus confortables et sa vie mondaine.

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Ce qui m’intéresse dans cette histoire, est qu’elle témoigne d’une question récurrente aux Etats-Unis, qui a notamment joué un rôle important dans les élections présidentielles de l’an dernier, qui est celle du maintien de la classe moyenne. Maintenir la classe moyenne cela signifie que les familles qui se définissent ainsi ne connaissent pas un déclassement allant potentiellement jusqu’à la perte de sa maison ou l’obligation de retirer ses enfants de l’école privée ; et surtout qu’elles soient en mesure de transmettre leur niveau social à leurs enfants. Les historiens ont montré à quel point la nation américaine s’est construite à travers l’idée d’une appartenance générale à la classe moyenne, notamment à Résultats de recherche d'images pour « lizabeth cohen consumers republic »travers un accès de tous à la consommation. Voir par exemple sur le sujet A Consumers’ Republic de Lizabeth Cohen. Pour le dire très vite, si en France les catégories sociales se définissent surtout par la place dans la structure de la production, aux Etats-Unis le niveau social se définit également par la place dans la structure de consommation.

Cela peut expliquer que si la question du maintien dans la classe moyenne se pose bien plus en termes financiers qu’en France (où les discussions portent davantage sur les modes de redistribution par exemple). J’entends par là que dans les articles de presse ou les ouvrages sur le sujet, les auteurs entrent dans les détails des dépenses, et la pauvreté est vue comme un problème d’argent, ce qui est beaucoup moins le cas dans la sociologie française, qui la voit comme un problème de domination sociale. Les choses changent pourtant en France, l’aspect trivialement monétaire de la pauvreté est de plus en plus pris en compte, aussi bien dans les journaux, dans le monde académique ou dans le monde politique. En témoigne le succès de cette idée qu’a eue une jeune femme de montrer ce qu’on peut acheter avec les 5 euros d’APL supprimés. Capture d_écran 2017-07-28 à 23.52.03

Côté américain, si la pauvreté est étudiée, c’est plutôt la classe moyenne « inférieure », selon ces vieux termes forgés au début du 20ème siècle, précisément aux USA, qui est l’objet de l’attention politique et médiatique, et au-delà l’ensemble de la classe moyenne, fragilisée. La désormais sénatrice Elizabeth Warren, auparavant professeur de droit à Harvard, spécialiste des « bankruptcy », c’est-à-dire des faillites personnelles, est devenue célèbre par ses prises de position et ses ouvrages montrant les difficultés monétaires des Américains de la classe moyenne. En 2003, elle publie avec sa fille The two income trap, montrant les difficultés à joindre les deux bouts des familles avec des enfants lorsque les deux parents travaillent. Ce livre fut un best-seller et devint un objet politique. Dans d’autres de ses ouvrages, elle a montré le lien entre les dépenses médicales et la faillite personnelle, ou encore dans The Fragile Middle Class, la fragilisation des ménages du fait de leurs dettes (l’anglais dit « to carry debt », il n’y a pas d’expression aussi claire en Français).

Résultats de recherche d'images pour « the two income trap »Résultats de recherche d'images pour « nickel and dimed »Résultats de recherche d'images pour « evicted desmond »

J’avais aussi beaucoup aimé un livre sur le sujet qu’une amie américaine m’avait conseillé : Nickel and dimed (littéralement s’être fait faire les poches). Une journaliste avait tout quitté pour vivre la vie des « working poor », vivant à l’hôtel ou dans des logements de fortune, et occupant des emplois payés au salaire minimum, plusieurs pour tenter de survivre. Elle décrit la fatigue, la pression des patrons, les douleurs physiques, l’impossibilité de se soigner sans assurance, et une Amérique inhumaine et invivable. Récemment, le livre du sociologue Matthew Desmond (lui aussi professeur à Harvard), Evicted, qui décrit la vie de familles expulsées après la crise des subprimes, a reçu le prix Pulitzer en non-fiction. L’auteur y suit le quotidien de 8 familles pauvres dans la ville de Milwaukee. Elles dépensent jusqu’à 70 % de leurs revenus pour se loger, et enrichissent marchands de sommeil et autres propriétaires de « trailer camps ».

On pourrait penser que l’on s’éloigne un peu des classes moyennes ici, mais en réalité c’est bien d’elles qu’il s’agit. D’une part car aux Etats-Unis, la société se pense comme une vaste classe moyenne (les plus riches sont dans “l’upper middle class”, cf ci-dessous une représentation de la structure sociale US par un professeur de sociologie) avec des frontières franchissables d’une strate à l’autre, puisque ces frontières sont « uniquement » monétaires – c’est le modèle, bien sûr que la réalité est plus complexe. Toutefois, lorsqu’il est question des difficultés à se loger et survivre des familles les plus pauvres, une partie non négligeable de la population peut estimer être potentiellement concernée un jour. D’autre part, car derrière tous ces reportages ou enquêtes académiques, c’est aussi le modèle de Welfare qui est en jeu : les obstacles que rencontre cette classe moyenne fragilisée se trouvent dans l’accès à la santé, à l’éducation, à une retraite décente, et les questions de fiscalité et de redistribution sont présentes en creux, ou en plein comme chez Warren.

Résultats de recherche d'images pour « US social structure »

Le texte de Gabler, à l’aune notamment des situations dramatiques comme décrites par Desmond, a été assez vertement critiqué, au motif qu’il est tout de même un peu gonflé de se présenter comme le représentant des classes moyennes en difficultés lorsque l’on est un auteur à succès et que les erreurs financières sont liées à sa volonté de vivre au-dessus de ses moyens : acheter une maison dans les Hamptons en plus de l’appartement à New York, dire à sa femme de ne pas se remettre à travailler après avoir arrêté pour élever les enfants, envoyer ses enfants dans des universités hors de prix, etc. Pourtant, cela prouve bien ce que je disais plus haut : le sentiment d’appartenance à la classe moyenne est diffusé sur quasiment toute l’échelle sociale, et ce qui est peut-être encore plus partagé est le sentiment de ne pas avoir assez d’argent pour avoir le niveau de vie que l’on jugerait « normal ».

Aides financières parentales

L’un des sujets naturels lorsque l’on s’intéresse à l’argent sur un campus américain est celui du prix que paient les étudiants (au passage, une photo de MiddleIMG_1970bury College cette après-midi). Bizarrement, il a fallu presque deux semaines pour qu’émerge une discussion à ce sujet. C’était donc à déjeuner, avec une enseignante française qui connaît bien les Etats-Unis et nous disait que ce système est vicié car les étudiants paient si cher – 50 000 dollars par an dans beaucoup d’universités – qu’ils ne peuvent échouer. Les professeurs sont donc obligés de bien les noter quoi qu’ils produisent. S’en est suivie une discussion que l’on pourrait qualifier d’économie comportementale de comptoir (ou de cantine en l’occurrence) pour déterminer si payer plus cher incitait les étudiants à moins travailler car ils avaient le sentiment d’acheter leur diplôme, ou au contraire à travailler sans compter pour rentabiliser au mieux leur investissement.

Inversement, les profs se donnent-ils plus de mal lorsque les étudiants paient leur minute de cours au prix de celle d’un concert des Rolling Stones ? Et a-t-on le droit de dire à des étudiants qu’ils feraient mieux d’arrêter de bavarder ou d’envoyer des messages sur facebook pour écouter leur professeur, au prix qu’ils payent ? Ou plutôt au prix que paient leurs parents.

En effet, la sociologue Laura Hamilton, de l’Université de Californie-Melced, a cherché à mesurer la corrélation entre l’investissement financier des parents et la réussite des enfants. Ses conclusions sont intéressantes : plus les parents aident les étudiants et moins leur GPA (leur moyenne, après avoir contrôlé le milieu social, l’université, les compétences des étudiants, etc) est bon. Les prêts étudiants ont le même effet négatif sur le GPA. En revanche, l’argent reçu par des bourses augmente le GPA, quand l’argent gagné par le travail étudiant n’a pas d’effet. Pourtant, l’aide parentale a un effet non négligeable sur le fait de terminer son Bachelor (4 ans d’étude), car une partie importante des étudiants ne finissent pas, souvent pour des raisons financières.Capture d_écran 2017-07-19 à 21.21.40

Ainsi, les étudiants très aidés par leurs parents travaillent juste assez pour obtenir leurs diplômes mais en profitent également pour développer leur capital social, et avoir des activités de détente. L’auteure souligne d’ailleurs dans sa conclusion que les parents peuvent adhérer à cette représentation de l’université comme un moment d’épanouissement des jeunes adultes, et considérer que le « social » est aussi important que « l’académique ».

Le sujet n’est pas épuisé bien sûr, mais c’est une première entrée sur cette riche matière.

 

Urgences financières

Dans toutes les toilettes de Middlebury College, Vermont, sont listés les numéros d’urgence et les adresses importantes pour les étudiants et le personnel du College. Après les questions de sécurité, de santé, de droits, est indiquée l’adresse du service économique permettant de répondre aux urgences financières. (ci-dessous un zoom du bas de la page)IMG_1966

Dans toutes les administrations et universités françaises des aides financières sont disponibles en cas de difficultés, mais elles ne sont jamais affichées avec une telle clarté, qui donne le sentiment d’une forme de bienveillance vis-à-vis de ces difficultés.