Avoir une fille en médecine

Ce week-end nous avons rendu visite à des amis américains qui passent leur été dans le Vermont dans une maison au milieu de la forêt, avec un petit étang pour se baigner et des oiseaux de toutes les couleurs parfaitement assortis au paysage. Nous les avions vus la dernière fois il y a huit ans, leur fille entrait au College (à l’université donc), et ils nous avaient dit qu’ils étaient contents car ils avaient économisé suffisamment pour être en mesure de financer ses quatre années d’études. Depuis, celle-ci a débuté des études de médecine (qui ici ont lieu après les 4 années de Collège). Elle vient de finir sa troisième année. Lorsque nous en parlons, je leur demande s’ils seraient d’accord pour que je leur pose quelques questions pour mon blog, car la question du financement des études est décidément centrale.

Résultats de recherche d'images pour « medical school er tv »Ils me disent qu’ils sont Américains, donc qu’ils veulent bien qu’on en parle… Soulignant que les tabous autour de l’argent ne sont pas les mêmes d’un pays à l’autre. Ce n’est pas qu’il n’y en a pas ici, mais pas autour de ce sujet. Donc, nous disent-ils, ils ont choisi de financer entièrement leur fille, ne lui demandant par exemple pas de travailler l’été ou pendant son année scolaire pour participer. Certains de leurs amis font d’autres choix, par exemple, quand les enfants sont au lycée, ils leur demandent de trouver des petits jobs afin d’économiser pour payer non les frais d’inscription mais le “room and board”, c’est-à-dire le gite et le couvert sur les campus. Celui-ci peut-être très élevé, de l’ordre de 10 000 dollars par an. En échange, les facs rivalisent d’imagination pour attirer les étudiants avec des campus plus beaux les uns que les autres et des lieux de restauration faits pour que les parents et les enfants lorsqu’ils font le tour des campus avant de choisir, se pâment devant l’offre. En ce moment les sushis bars font fureur – j’ai d’ailleurs appris par un étudiant d’ici, professeur de français dans un lycée privée près de Boston, dont les tarifs dépassent les 60 000 dollars par an, que là-bas aussi les suRésultats de recherche d'images pour « sushi bar »shis étaient à volonté. Cela pour dire que demander à ses enfants de financer le room and board signifie qu’ils devront trouver 1000 dollars par mois s’ils ne les ont pas économisé avant. Nos amis ont préféré laissé ce temps à leur fille pour travailler, et nous disent-ils, elle remplit sa part du contrat car elle a d’excellents résultats.

Cela me rappelle des choses que j’ai lues sur les transferts d’argent entre parents et enfants, analyses qui traitaient de la France, mais qui me semblent assez universelles : chaque famille organise son système de don et de contre-don dans un contexte de famille “relationnelle” comme l’appelle François de Singly, qui veut dire que la famille se voit comme un lieu d’épanouissement et d’autonomie de chacun, et c’est cela qui est valorisé dans le don et le contre-don. Ce modèle est bien sûr celui de la classe moyenne, qui par ailleurs considère que la réussite scolaire est la voie de l’insertion sociale. Certaines familles font le choix de prêts monétaires, remboursables par les enfants plus tard, quand d’autres considèrent que le contre-don est l’implication dans le travail. Certains parents estiment que l’éducation des enfants passe par leur participation aux frais et leurs demandent de travailler, mais cela est présenté non comme une demande économique mais bien comme une exigence pédagogique (surtout si les parents auraient les moyens de faire autrement, ce qui est plus souvent le cas en France où les études ne coûtent pas aussi cher qu’ici). Il peut y avoir des ratés, et les conflits naissent lorsque les parents ont le sentiment que l’enfant ne prend pas suffisamment au sérieux le don des parents, ou inversement que l’enfant estime que ses parents ne respectent pas la norme d’autonomie et font trop sentir leur volonté de voir leur investissement “rentabilisé”, voire “remboursé”. Bref, si l’aspect monétaire est trop visible.

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Nos hôtes semblent avoir trouvé un équilibre qui les satisfait. Toutefois, les frais des années supplémentaires (qu’ils n’avaient donc pas économisés) correspondent à 2/3 du salaire de professeur d’université de notre ami, de sorte que sa femme, pédiatre à l’hôpital, qui avait pris sa retraite, s’est remise à travailler. Elle dit d’ailleurs qu’elle en est heureuse. Le seul petit détail qui pourrait fâcher, est que leur fille ne veut pas que ses camarades sachent qu’elle n’a pas fait d’emprunt, car elle pourrait apparaître comme une enfant gâtée.

L’une des explications souvent données quant au prix des soins ici est que les médecins ont contracté de très lourdes dettes pendant leurs études et sont obligés de générer d’importants revenus pour les rembourser. Décidément, la question du prix des études est centrale.

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Aides financières parentales

L’un des sujets naturels lorsque l’on s’intéresse à l’argent sur un campus américain est celui du prix que paient les étudiants (au passage, une photo de MiddleIMG_1970bury College cette après-midi). Bizarrement, il a fallu presque deux semaines pour qu’émerge une discussion à ce sujet. C’était donc à déjeuner, avec une enseignante française qui connaît bien les Etats-Unis et nous disait que ce système est vicié car les étudiants paient si cher – 50 000 dollars par an dans beaucoup d’universités – qu’ils ne peuvent échouer. Les professeurs sont donc obligés de bien les noter quoi qu’ils produisent. S’en est suivie une discussion que l’on pourrait qualifier d’économie comportementale de comptoir (ou de cantine en l’occurrence) pour déterminer si payer plus cher incitait les étudiants à moins travailler car ils avaient le sentiment d’acheter leur diplôme, ou au contraire à travailler sans compter pour rentabiliser au mieux leur investissement.

Inversement, les profs se donnent-ils plus de mal lorsque les étudiants paient leur minute de cours au prix de celle d’un concert des Rolling Stones ? Et a-t-on le droit de dire à des étudiants qu’ils feraient mieux d’arrêter de bavarder ou d’envoyer des messages sur facebook pour écouter leur professeur, au prix qu’ils payent ? Ou plutôt au prix que paient leurs parents.

En effet, la sociologue Laura Hamilton, de l’Université de Californie-Melced, a cherché à mesurer la corrélation entre l’investissement financier des parents et la réussite des enfants. Ses conclusions sont intéressantes : plus les parents aident les étudiants et moins leur GPA (leur moyenne, après avoir contrôlé le milieu social, l’université, les compétences des étudiants, etc) est bon. Les prêts étudiants ont le même effet négatif sur le GPA. En revanche, l’argent reçu par des bourses augmente le GPA, quand l’argent gagné par le travail étudiant n’a pas d’effet. Pourtant, l’aide parentale a un effet non négligeable sur le fait de terminer son Bachelor (4 ans d’étude), car une partie importante des étudiants ne finissent pas, souvent pour des raisons financières.Capture d_écran 2017-07-19 à 21.21.40

Ainsi, les étudiants très aidés par leurs parents travaillent juste assez pour obtenir leurs diplômes mais en profitent également pour développer leur capital social, et avoir des activités de détente. L’auteure souligne d’ailleurs dans sa conclusion que les parents peuvent adhérer à cette représentation de l’université comme un moment d’épanouissement des jeunes adultes, et considérer que le « social » est aussi important que « l’académique ».

Le sujet n’est pas épuisé bien sûr, mais c’est une première entrée sur cette riche matière.